Goma : des enfants dans la rue pour nourrir la famille, pendant que l’État regarde ailleurs
Dans les rues poussiéreuses de Goma, un spectacle devenu tristement courant choque et interroge : des enfants de moins de 13 ans parcourent les quartiers, des plateaux sur la tête, vendant du pain, des beignets, de la pâte d’arachide ou des sucreries. On les retrouve aux abords des bistrots, dans les marchés, sur les terrains de football ou en train de faire du porte-à-porte. Ces enfants ne jouent pas. Ils ne vont plus à l’école. Ils travaillent pour survivre. Derrière leurs regards fatigués, se cache une dure réalité : leurs parents, agents de l’État pour la plupart, sont sans emploi ou sans salaire depuis des mois. Et c’est sur leurs épaules que repose désormais la survie de la famille.

Rencontrée près du marché Virunga, une mère de six enfants, ancienne secrétaire dans une division provinciale, explique entre deux soupirs : « Mon mari était enseignant. Depuis presque un an, il n’est plus payé. Moi, j’ai été mise à la retraite anticipée sans indemnité. J’ai résisté, mais aujourd’hui, mes enfants vendent. Ce n’est pas de gaieté de cœur. C’est la faim. »
Trois d’entre eux, rencontrés à l’entrée du quartier Katindo, confient timidement leur routine. Patrick, 12 ans, vend des biscuits avec sa sœur de 10 ans. Leur frère aîné, Junior, 14 ans, porte une glacière de jus. « On ne va plus à l’école. Mais avec ce qu’on vend, maman peut acheter le riz et le savon. Papa reste à la maison, il n’a plus de travail », dit Junior, les yeux baissés. Sa sœur ajoute en chuchotant : « Parfois les gens nous chassent, mais on doit continuer… sinon on ne mange pas. »
Le phénomène prend de l’ampleur. Dans plusieurs rues, centre-ville ou quartiers populaires, ces enfants marchands se comptent par dizaines. Leur sécurité est mise en danger, ils sont exposés aux accidents, aux abus et aux mauvaises fréquentations. Et pourtant, cette situation semble se banaliser, sans réelle réaction des autorités.
Un passant, témoin de cette dérive sociale, s’indigne. « On ne peut pas parler d’avenir de la nation quand des enfants deviennent des mères et des pères de famille à 10 ans. Où est passé l’État ? Pourquoi laisse-t-on les fonctionnaires mourir à petit feu ? »
Ce cri du cœur reflète un sentiment d’abandon partagé par de nombreuses familles. À cause du non-paiement des salaires, de l’absence de mesures d’accompagnement ou de programmes de soutien, l’administration publique a cessé d’assurer son rôle de bouclier social. Ce sont désormais les enfants qui absorbent le choc économique, au prix de leur éducation, de leur innocence et parfois de leur santé.
Si la situation perdure, c’est toute une génération qui risque de grandir dans la rue, sans repères ni instruction. Des enfants précocement adultes, habitués à se battre pour survivre, et dont les rêves seront sacrifiés sur l’autel de l’indifférence institutionnelle. Ce phénomène n’est pas un simple détail de rue. Il est un signal d’urgence sociale. Et chaque jour de silence de l’État en fait une tragédie évitable qui s’enracine.
????️ Par Yassin Ndaye