Huawei, un défi pour l’Europe

Fasciné par le gigantisme du marché chinois, l’Occident a longtemps fermé les yeux sur les pratiques peu orthodoxes de Pékin, qu’il s’agisse du rôle central que joue l’Etat dans l’économie, des barrières protectionnistes plus ou moins déguisées ou du non-respect de la propriété intellectuelle.

Huawei, un défi pour l’Europe
Huawei

Fasciné par le gigantisme du marché chinois, l’Occident a longtemps fermé les yeux sur les pratiques peu orthodoxes de Pékin, qu’il s’agisse du rôle central que joue l’Etat dans l’économie, des barrières protectionnistes plus ou moins déguisées ou du non-respect de la propriété intellectuelle. Mais le pays « émergent » a fini par devenir une puissance technologique capable de rivaliser avec les Etats-Unis. L’ascension fulgurante du groupe de téléphonie Huawei illustre cette mutation.

En moins d’une décennie, Huawei est devenu un acteur majeur de la 5G, la nouvelle génération de réseaux mobiles, qui promet de révolutionner les usages de l’Internet. Vecteur incontournable de la transmission des données, y compris les plus sensibles, ces infrastructures peuvent servir des objectifs politiques en favorisant l’espionnage et le sabotage. Ce qui inquiète légitimement. Leur maîtrise constitue donc un enjeu de souveraineté crucial. La loi chinoise de 2017, qui oblige tout citoyen ou entreprise à coopérer avec les services de renseignement et à ne pas communiquer sur cette coopération, n’est pas de nature à rassurer les 170 pays clients d’Huawei sur l’utilisation éventuelle de ce qui transitera dans ces « tuyaux ».

Même si Huawei s’est toujours défendu d’être le bras armé de l’Etat chinois, les Etats-Unis ont été les premiers à endiguer son développement. Ils viennent de lancer une vaste offensive diplomatique pour convaincre les pays alliés de lui fermer la porte. Parallèlement, la justice américaine a ordonné l’arrestation de la directrice financière du groupe, Meng Wanzhou, également fille du fondateur, un ex-ingénieur de l’armée chinoise. Celle-ci est accusée d’avoir vendu du matériel à l’Iran, en violation des sanctions américaines à l’encontre de ce pays. D’autres collaborateurs du groupe chinois ont été également inculpés pour espionnage.

L’UE doit constituer un front uni face à la Chine

Les Européens, eux, ne disposent pas de l’arme de la justice extraterritoriale et ne veulent pas appliquer un protectionnisme qu’ils reprochent aux Chinois. Leurs équipementiers, comme Nokia ou Ericsson, perdent des parts de marché, tandis que leurs opérateurs agissent en ordre dispersé. Si certains, comme Orange, ont dit qu’ils se passeraient d’Huawei, d’autres ont déjà signé des contrats avec le groupe chinois.

La marge de manœuvre des Européens est réduite. Selon Deutsche Telecom, l’exclusion d’Huawei retarderait de deux ans l’arrivée de la 5G en Europe et coûterait plusieurs milliards aux opérateurs. Pour ne pas être pieds et poings liés face au groupe chinois, ils doivent maintenir un minimum de concurrence européenne et exiger un contrôle pour les infrastructures concédées aux Chinois.

Leur situation est d’autant plus compliquée que Donald Trump a fait de l’affaire Huawei un levier de négociation dans la guerre commerciale qu’il livre à Pékin. Le président américain, qui ne fait aucun cas des Européens en la matière, est capable de réhabiliter subitement l’équipementier pour peu qu’il obtienne des concessions des Chinois pour réduire son déficit commercial.

S’ils ne veulent pas être relégués au rang de spectateurs dans la bataille diplomatique et technologique qui se joue, les Vingt-Sept doivent constituer un front uni face à la Chine, se donner les moyens d’une politique d’innovation et établir leurs propres mécanismes de défense. Huawei, à cet égard, est un test. Faute d’une vigilance accrue, ils seront réduits à la dépendance technologique et, in fine, à l’impuissance politique.

Le Monde